En l’an de grâce 1987, en des temps digitalement ancestraux naquit un cousin vidéoludique du jeu de plateau Dungeon & Dragons, qui fut le précurseur d’un genre quelque peu oublié de nos jours. Dungeon Master, tel était son nom, permettait d’incarner une équipée de héros perdus dans les dédales sombres d’un donjon hostile, avançant de case en case et de monstre en monstre pour déjouer les plans maléfiques d’un sorcier terrifiant. Le titre fut un grand succès commercial et donna naissance au dungeon crawler, dont l’âge d’or est quelque peu révolu aujourd’hui.

Si vous n’êtes pas amateur de JDR et de jets de dés old school, peut-être vous demanderez-vous pourquoi j’évoque une catégorie de jeux vidéos dont personne n’a grand-chose à foutre aujourd’hui. Mon très cher lecteur, c’est parce que ce style fut à l’origine de tout un tas d’innovations en termes de gameplay dont beaucoup de productions actuelles ne peuvent se passer, et que le dungeon crawler revient peu à peu sur le devant de la scène via les studios indépendants. Une nouvelle hype est elle sur le point d’arriver? Peut-être, car c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes! Et je ne suis pas la seule à le penser, puisque c’est aussi le cas des développeurs de Legend of Grimrock. Les finnois ont en effet conçu leur réalisation comme un hommage à Dungeon Master, et ils ont réussi leur pari : nous offrir un titre aux inspirations totalement assumées, qui ne se bornera pas à ressembler à une vulgaire copie d’un jeu culte. Et pour changer, j’ai beaucoup de choses à vous raconter!

Legend of Grimrock est donc un rpgdungeon crawler sorti en 2012, disponible sur pc, tablette, Ipad et Iphone. Il est développé par le studio Almost Human. Unanimement salué par la critique ainsi que les amateurs de jeux rétro, Legend of Grimrock ne s’aborde pas comme une simple copie sans âme de ses inspirations. Bien au contraire. Le titre a su saisir l’essence de ce qui fit le succès du dungeon crawler, pour le remettre au goût du jour. Et c’est pourquoi il constitue selon moi une porte d’entrée vers ce genre qui gagnerait à être mieux connu, pour ceux qui souhaiteraient remonter un peu le temps. Sur ces entrefaites mesdames et messieurs, back to the eighties. Je vous propose ce mois ci de découvrir un nouveau petit bijou, à travers un article en deux parties : à cette critique suivra une rétrospective rétrogaming très peu objective et absolument pas exhaustive, où je vous proposerai quelques vieux jeux qui ne demandent qu’à être dépoussiérés. Amateurs de dédales sombres, de trésors et de trolls récalcitrants, bienvenue. Les autres, passez votre chemin.

Avis aux fans de casse-têtes

Les artworks de Grimrock valent le détour…!

Il y avait une fois quatre renégats condamnés à la peine capitale. Depuis des siècles, le mont Grimrock et son donjon sont utilisés pour y perdre ceux que l’on a voués à la mort : ceux qui arrivent à déjouer tous les pièges et autres chausse-trappes, étriper tous les monstres et sortir vivants de ces couloirs sombres seront absous de leurs péchés. Cependant, personne n’a encore réussi, et pour cause : les gardiens de la prison ont été remplacés par un bestiaire féroce et sans merci… Arriver au bas de cette montagne et recouvrer votre liberté sera donc votre défi. Pour ce faire, il vous faudra sortir vivant de treize étages truffés de traquenards retors. Et vous comprendrez très vite qu’ils n’ont rien à envier aux créatures autochtones de par leur dangerosité…
Vous êtes donc projeté au premier étage du donjon d’un bon coup de pied au derrière, sans arme, ni armure, ni nourriture. Et l’aventure commence…  

Legend of Grimrock, comme tout bon RPG, démarre par la création de personnages. On partira avec une équipée de quatre héros, choisis parmi les quatre races disponibles (humain, insectoïde, reptile et minotaure). La fiche de personnage est plutôt complète, et la phase de création consistera en le choix d’un nom, d’un portrait, d’une classe (mage, voleur ou guerrier), à la répartition des points d’attribut, de compétences ainsi que quelques traits propres à chaque race. Une grande latitude est offerte dans la personnalisation des membres de votre équipée, et durant le leveling : mon mage aura-t-il une spécialité ? Sera-t-elle la magie de feu, de glace, d’air ou de poison ? Mon guerrier sera-t-il tank ou berserker ? Mon voleur se spécialisera-t-il en combat avec des armes de lancer ou au combat à mains nues ? Les habitués des jeux de rôle voient de quoi je parle. Personnellement, je préfère choisir deux guerriers et deux mages, quitte à attribuer à chacun une arme de lancer de secours. Mais chacun est libre de se constituer sa stratégie d’attaque, ou pas : le jeu permet aux feignants de jouer avec une équipe prédéfinie !

Une fois vos héros créés, ils atterriront dans la première salle du donjon, littéralement en slip. Comme je l’ai dit, nous n’avons ni armes, ni armures, ni nourriture, ni torches, ni aucun stuff de quelque nature que ce soit ! L’un de nos objectifs sera donc de trouver de quoi se vêtir et se défendre, ainsi que se nourrir : les personnages ont une barre de vie, d’énergie (qui se videra à chaque action accomplie), ainsi qu’une barre de faim qui descendra avec le temps. La santé et l’énergie se régénèrent seules, ou en faisant un somme (ne vous reposez pas n’importe où, ou les monstres vous attaqueront dans votre sommeil!). En revanche, la jauge de nourriture se videra inexorablement : lorsque vos guerriers seront affamés, leurs points de vie ne se régénéreront plus. Pour survivre et ne pas user son stock de potions faute de nourriture, il faudra donc s’habituer à fouiller les salles et couloirs parcourus en quête de la moindre miette comestible, mais aussi d’équipement.

Outre le minimum nécessaire au combat, on trouvera de la nourriture ragoûtante mais bienvenue, des armes de lancer (pierres, shurikens, bombes…), une boussole, des torches (même si une sphère lumineuse ainsi qu’un sort du même acabit seront trouvables plus tard), des parchemins de tous types, un mortier et un pilon nécessaire à la réalisation de potions ainsi que des ingrédients. Vous ne rencontrerez aucune boutique, et devrez donc vous débrouiller : en combinant divers ingrédients, vous pourrez créer des potions de vie, d’énergie, de force, vitesse… Vous l’aurez compris, le joueur se mettra rapidement à fouiller méthodiquement chaque salle explorée en quête de d’un scarabée mort ou d’une chemise rapiécée pour se constituer une armure, et c’est ce qu’attendent les développeurs : le level design très bien pensé nous mettra régulièrement face à deux types d’énigmes. Les premières devront être résolues pour avancer, les secondes (bien plus retorses) donneront accès à du stuff de qualité supérieure. Vos héros devront apprendre à composer avec des téléporteurs farceurs, trouver de petits interrupteurs cachés entre deux pierres d’un mur, ou encore comprendre qu’une iron door ne pourra être ouverte qu’en trouvant le sens d’un poème écrit sur un parchemin situé deux salles plus loin… Allergiques aux casse-têtes s’abstenir.

Je me suis souvent demandé si je n’avais rien loupé en quittant un étage. Et franchement, je pense que je suis loin d’avoir découvert tous les secrets du Mont Grimrock. Les énigmes sont vraiment bien pensées, bien qu’étant quelque peu classiques dans leur construction. Et ce n’est pas la seule difficulté à laquelle l’équipe de héros sera confrontée, bien évidemment! Pour éviter la faim ou optimiser le leveling, il faudra apprendre à se creuser la cervelle et gérer vos ressources avec intelligence. Car la courbe de difficulté superbement dosée vous mettra régulièrement face à des combats qui demanderont eux aussi de l’astuce… Legend of Grimrock, d’inspiration profondément old school, n’est pas un jeu user friendly.

De l’art d’occire des escargots géants

A l’image des dungeon crawler d’antan, on interagira avec l’environnement via la souris, pour se déplacer de case en case au moyen des flèches de direction ou du clavier. (il est possible de strafer, et cette option se rendra rapidement indispensable) Notre équipe sera disposée en deux lignes, la première attaquant au corps-à-corps et la deuxième à distance. Idéalement, les guerriers seront donc placés devant, et les mages/voleurs derrière. Ces derniers attaqueront au moyen de lances, projectiles divers et autres boules de feu. Le système de sorts est similaire à celui de Dungeon Master, et consiste en la combinaison de plusieurs runes. On pourra donc tenter sa chance, ou encore trouver des parchemins magiques ramassés au fil des étages.

La configuration des héros aura son importance lors des combats, effectués en temps réel. L’avancée se fera avec prudence tant certains combats sont exigeants, et il s’avérera rapidement indispensable de bouger sans cesse dans le feu de l’action : les ennemis sont coriaces, frappent fort, et n’hésitent pas à vous encercler. Pour éviter de prendre des coups sur les flancs ou d’être pris en sandwich, beaucoup de monstres demanderont d’anticiper leurs déplacements pour placer un coup en évitant la réplique (je pense notamment aux énormes ogres…). Le joueur devra apprendre à optimiser l’architecture des niveaux pour éviter d’être coincé dans un renfoncement, se débrouiller pour combattre une créature à la fois, car il est souvent possible de faire preuve d’astuce pour faire disparaître un crabe géant récalcitrant dans une trappe bienvenue…

Si la difficulté est présente, le sentiment de satisfaction après une bataille rondement menée vaut le coup! Dans tous les cas, il est important de ne pas prendre à la légère la perte de l’un de vos héros car votre équipe s’en retrouvera grandement affaiblie. Pour ressusciter les morts, il faudra les amener jusqu’à un cristal de vie, qui restaurera toutes les jauges de mana et de pv. Chaque niveau en comptera jusqu’à deux, et il vous faudra parfois envisager de fastidieux allers-retours pour réveiller l’un de vos guerriers tombés au combat.

Tactique et technique

Le thème principal, franchement épique, sera la seule musique du jeu. Le reste s’apparente plus à du sound design.
L’ambiance sonore est très réussie, assez discrète pour se faire oublier tout en rendant l’univers crédible. Les graphismes sont d’une excellente qualité, les textures fines, les animations convaincantes et les éclairages dynamiques magnifiques : on prend plaisir à voir luire des boules de feu, et on frémit en apercevant l’ombre d’un squelette au détour d’un couloir… Le jeu ne nous propose que trois environnements différents, ce qui n’a que peu d’importance au regard de la qualité du level design. L’ensemble, allié au gameplay plutôt intuitif pour son inspiration old school, propose une atmosphère légèrement angoissante, passionnante et très vite addictive.
On ne s’échappe pas si facilement du Donjon, et le titre d’Almost Human dispose d’une belle durée de vie pour un niveau de difficulté justement dosé : difficile au premier abord, surmontable lorsqu’on réfléchit un peu et qu’on aiguise ses réflexes. Sa vingtaine d’heures de jeu minimum est très appréciable pour un dungeon master-like, et se verra facilement dépassée si vous vous mettez en tête de débusquer tous les secrets du donjon : de mon point de vue, les mystères de Grimrock lui confèrent un certain potentiel de rejouabilité (mes soixante-quinze heures de jeu en témoignent), si vous êtes un amateur de rpg, de donjons et de déplacement case par case. Pour un prix de 14.99 sur Steam, le rapport qualité prix est tout à fait appréciable!

Allez viens, on est bien

Pour ma part, j’ai été très rapidement conquise par l’univers du Mont Grimrock. Il m’arrive régulièrement d’y rejouer une heure ou deux, pour le plaisir de parcourir ces corridors sombres, ou d’occire quelques lézards des glaces. Le titre est objectivement très réussi, tant en termes d’hommage au dungeon crawler qu’en termes de gameplay et de direction artistique. Cela dit, s’il fallait lui trouver des défauts, ils seraient peut-être à chercher de son côté old school. Par exemple, l’inventaire souffre de quelques défauts d’ergonomie, qui peuvent faire faire de mauvaises manipulations (surtout le système de lancer de sorts) lors des combats. Mais tout est explicable par ce parti pris des développeurs de s’inspirer de Dungeon Master, et il serait injuste d’attribuer l’origine de ces petites aspérités à une réelle faiblesse dans la conception de l’ensemble du jeu. Toutefois, les difficultés liées au gameplay inspiré de jeux des années 1980 – 1990 rebuteront peut-être les joueurs d’aujourd’hui, biberonnés aux aides de jeu et autres QTE modernes. La “vieille” génération et autres amateurs de rétro gaming, en revanche, sera ravie par l’expérience. Et c’est à ce public-là que le studio a souhaité s’adresser : on pourra par exemple jouer à un mode old school qui ne proposera pas de map, pour ceux qui voudraient s’amuser à s’en dessiner une sur papier comme autrefois ! Les finnois ont aussi inclus à Grimrock un logiciel de modding, qui a plutôt été apprécié : beaucoup se sont amusés à recréer des classiques du genre du dungeon crawler. Lorsque les nombreux secrets de Grimrock vous auront été révélés, vous pourrez par exemple jouer à Dungeon Master avec des graphismes actuels, entre autres surprises.

Quant à la presse spécialisée, elle est unanime ! Avec la note de 7/10 sur Gamekult et 18/20 pour Jeuxvideo.com, on peut dire que l’expérience a fait des émules. Et c’est aussi le cas du deuxième opus sorti en 2014, tout aussi réussi que le premier.

Selon Jv.com, « Legend of Grimrock n’est pas qu’un hommage à Dungeon Master, ou un exutoire pour nostalgiques d’une époque révolue, c’est aussi un dungeon crawler formidablement addictif, qui nous rappelle que les avancées technologiques ne sont pas garantes du plaisir de jeu. ». Gamekult l’affirme : « Avec LOG, le développeur finnois a réussi à donner une seconde jeunesse au dungeon crawler, ce genre antique fait de donjons, de cases et de combats en quatre directions. (…) Le titre fera couler quelques larmes de nostalgie aux vétérans de Dungeon Master, et quelques larmes tout court aux joueurs assez fous pour s’y aventurer. À ce prix, ils devraient être nombreux. »
Et en attendant mon prochain article qui vous proposera une petite rétrospective sur le dungeon crawler, je vous invite vous aussi à vous y risquer… Vous verrez, les mystères du Mont Grimrock valent le coup d’être explorés.

 

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