Ha… les démos black metal de la fin des années 80 et de la décennie suivante, il y a tant à en dire ! Moi aussi j’ai eu ma période trve dv cvl(te) à préférer ces enregistrements souvent de qualité douteuse à des productions moins confidentielles mais pas moins inintéressantes. C’est donc avec un peu de nostalgie que j’ai découvert Analogue Black Terror publié par Nuclear War Now!, un énorme recueil de ces démos sorties entre la fin des années 80 et l’an 2000.
Valnoir a accepté dejouer le jeu des questions réponses et voici sa sélection musicale pour accompagner cette lecture. Je vous préviens tout de suite, son choix s’est porté sur de nombreuses démos, certaines oubliées, d’autres très confidentielles, à l’image de son livre catalogue qui en aurait fait pâlir plus d’un s’il avait été publié au temps des démos.
Le livre ouvre sur quelques pages introductives rappelant l’importance de ces cassettes qui circulaient sous le manteau, qu’elles étaient une monnaie d’échange permettant d’élargir l’horizon musical, un passage initiatique pour certains. La création de ce livre s’est faite naturellement, comme il l’explique : “un ami venait d’exhumer quelques boites à chaussures gondolées d’une cave, et certaines d’entre elles nous ont brutalement replongé dans un passé si intense, qu’il m’a semblé judicieux de transmettre cette émotion dans un livre.” Intensité et émotion sont des termes qui correspondent bien à la découverte de ce livre ! Se replonger dans ces démos réveille de nombreux souvenirs où tout était nouveau et excitant : visuels, police d’écriture, sonorités, illustrations, etc…
Ces vestiges d’un autre temps, plus lent, plus distant, plus amateur aussi font “[que Valnoir] reste douloureusement nostalgique de cette ère ou rien d’autre ne comptait que le BM et la façon dont il déterminait chaque aspect de [son] existence”. Un art total comme il le rappelle qui se démarquait par son jusqu’au-boutisme forcené. C’est vraiment cette ambiance que l’on retrouve en parcourant et feuilletant Analogue Black Terror : l’extrémisme de la musique ne se limite pas à des accords mais à un état d’esprit et une conception aiguë de l’art.
Pour rester dans le ton du black metal, le livre rappelle la forme des fanzines avec son collage particulier, ses références au satanisme, à l’horreur… Tout est là, si ce n’est le texte. Ce catalogue est relativement exhaustif (même si quelques pénibles ne manqueront pas de signaler qu’il en manque ici ou là) et on peut souligner le travail que ceci a représenté. “La nostalgie est une composante primordiale dans ces pages, et les opus qui m’ont personnellement marqués, ou auxquels j’ai une connexion émotionnelle ou historique directe ont eu une place d’office”. Pour autant Analogue Black Terror n’est pas juste une création physique d’une émanation du passé mais un bel hommage des premières heures du black metal. Bref, il est idéal pour se (re)faire une culture !
Est-ce que dans vingt ans il sera envisageable de réaliser un ouvrage équivalent ? Sans doute non, comme ce genre est aujourd’hui beaucoup plus accessible et qu’il est devenu quelque chose d’autre, avec ses bons côtés et ses mauvais : “certaines choses sont excellentes, la médiocrité demeure la norme, comme toujours”.
Pour se procurer le livre : c’est ici, il suffit de cliquer.
Et voici l’échange avec Valnoir :
Salut Valnoir et merci de nous accorder un peu de temps ! Tu as édité il y a un peu Analogue Black Terror, un livre massif sur les démos sorties entre les années 1980 et l’an 2000 de la scène black internationale. Il est sorti chez Nuclear War Now! il y a quelques semaines seulement.
Mais avant toute chose, est-ce que tu peux te présenter ? Comment est né ce projet d’archiviste ? Pourquoi ce titre ?
En fait, tout s’est passé assez rapidement… Une année environ s’est écoulée entre le soir ou l’idée a germé et l’arrivée de mes copies. Un ami venait d’exhumer quelques boîtes à chaussures gondolées d’une cave, et certaines d’entre elles nous ont brutalement replongé dans un passé si intense, qu’il m’a semblé judicieux de transmettre cette émotion dans un livre. Visiblement, l’enthousiasme fut au rendez-vous, puisque quelques mois après, alors que tout commençait à prendre forme, j’ai écrit à Nuclear War Now! pour lui proposer d’éditer le projet. Le deal fut scellé en 3 mails. J’ai été assisté par mes proches pour les questions de relecture, et ayant moi-même un peu d’expérience dans l’édition, et les outils nécessaires, j’ai avancé rapidement, et voilà. Affaire réglée.
Le titre, c’est toujours une question délicate quand tu fais un livre. Il doit être à la fois percutant, synthétique et raconter le contenu du livre. C’est du moins comme ça que je vois les choses.
Je ne sais pas si je suis totalement satisfait, concernant la variable « synthétique », mais pour le reste, je pense qu’il renvoie une image assez claire du contenu. Je voulais surtout mettre l’accent sur la radicalité du propos. L’extrémisme, sous diverses formes, était (et en théorie, est toujours) un point central, essentiel, constituant de l’identité du Black Metal. La terreur est une des émotions les plus bestiales, suffocantes et incontrôlables à laquelle un humain puisse faire face (et je parle en connaissance de cause, ayant été moi même touché de très près par la vague de terreur qui a deferlé sur Paris il y a quelques années). Je ne pouvais pas voir de qualificatif plus juste pour définir l’élan, la « mission » dont était chargé le BM, jusqu’à ce que ce genre devienne la farce qu’il est majoritairement aujourd’hui.
Tu es graphistes et tu as réalisé des pochettes pour de nombreux groupes comme Taake, Blut Aus Nord, Alcest, Ulver… et il est vrai que ton style est facilement reconnaissable avec un côté faussement minimaliste ! Mais comment est-ce que tu le définirais ?
Je ne pense pas avoir UN style, et j’ai toujours mis un point d’honneur à ne pas m’y laisser enfermer, ou du moins à tenter de ne pas m’y laisser enfermer. Les groupes viennent souvent me chercher pour retrouver quelque chose qu’ils ont vu sur une autre de mes pochettes, ce qui finit rapidement par créer un écho et des redondances, mais j’ai toujours aimé explorer des voies inattendues , balayant un spectre très large allant du fonctionnalisme Suisse au Rococo le plus indigeste, et bien évidemment les courants d’expression visuels totalitaires. Avec le recul et les années je reconnais facilement avoir toujours été fasciné par l’image et le langage visuel du pouvoir, qu’il soit politique ou spirituel, et que cela peut représenter un point commun direct ou indirect entre nombre de mes projets. Même ce livre, au final, repose sur la volonté d’imposer une domination spirituelle par la terreur, en utilisant l’agression sonore comme véhicule.
Après, affirmer que mon vocabulaire visuel soit clairement identifiable vient probablement du fait que je laisse inconsciemment s’échapper des procédés de composition qui , une fois assemblés, finissent par créer une identité.
Le format de Analogue Black Terror rappelle un peu un fanzine sous stéroïde avec un collage faussement amateur et une esthétique très marquée. Etait-ce ce que tu voulais faire depuis le départ ou bien est-ce que la forme de ce livre a évolué au fur et à mesure ?
J’avais dés le départ une image assez claire de la forme que le livre allait adopter.
Tu as raison d’évoquer l’univers du fanzine, puisque les zines étaient à cette époque le seul type de publications éditoriales consacrées au BM, une référence donc difficile à contourner dans ce contexte.
J’ai été profondément frappé par une cassette en particulier : la compilation « War and Sodomy Forever !» , deployant un artwork basé sur des collages particulierement tapageurs. Une sorte de montage punk avec le volume poussé à 11. J’ai immédiatement cherché à retrouver ce vacarme, on conservant malgré tout un aspect fonctionnel, et en favorisant un accès rapide à l’information .
Le format a été défini assez rapidement. Une cassette mesure 10cm de haut, je voulais en mettre 3 par page, au minimum à l’échelle 1/1, afin d’avoir une perception des documents s’approchant au mieux de la réalité. Tu ajoutes les marges, et tu arrives à 33cm, 66 une fois le livre ouvert à plat. J’aimais, au demeurant, ces nombres, pour diverses raisons assez évidentes.
Il est primordial quand tu travailles sur ce type de projet massif de savoir où tu vas dès le départ, d’avoir une image claire de l’enveloppe, de la « main » du livre, de sa structure, sa narration, son atmosphere. Tu ajustes néanmoins toujours le tir au fur et à mesure, bien sûr.
D’ailleurs, est-ce que les fanzines sont quelque chose que tu apprécies ?
Je n’en ai pas collectionné des tas dans le temps, et je le regrette à postériori. Au même titre que les démos, leurs tares, leurs maladresses, leur hystérie juvénile, pouvaient sembler être des points faibles face à une analyse superficielle, mais se révélaient au final être des forces. Un bon fanzine était un monolithe sincère et excessif, dont la mise en page grouillait comme un ventre de charogne.
J’ai adoré me replonger dans ces démos, certaines m’ont rendu vraiment nostalgique. J’ai aussi découvert quelques-unes qui étaient passées sous le radar. Qu’est-ce que représentait cette période pour toi ? Quel regard portes-tu sur ces démos parfois difficiles d’accès ?
Cette période m’a profondément et irrémédiablement marqué. Le Black, durant de très nombreuses années, de 1994 jusqu’au début de mon apprentissange dans les métiers de l’image, a été LE véhicule emotionnel qui a transporté mon existence en dehors du monde moderne et de la réalité. Je crystalise probablement pas mal aussi, mais même si je suis relativement comblé par ma vie aujourd’hui, je reste douloureusement nostalgique de cette ère ou rien d’autre ne comptait que le BM et la façon dont il determinait chaque aspect de mon existence. Je n’écoutais les demos des groupes, en ce temps, que lorsqu’aucun enregistrement plus « pro » du groupe n’était disponible. Bien qu’étant attiré par les formes d’expression musicales les plus extrêmes et les plus sales, je préférais, en ce temps, paradoxalement, les productions de studio aux enregistrements maison trop nécro. Avec les années j’ai appris à apprécier l’amertume abrasive de ces cassettes plus qu’à l’époque.
Il y a évidemment une part importante de subjectivité, qui a guidé pas mal de choix dans un premier temps. La nostalgie est une composante primordiale dans ces pages, et les opus qui m’ont personnellement marqué, ou auxquels j’ai une connexion émotionnelle ou historique directe ont eu une place d’office. Ont suivi les sorties qui ont moins compté pour moi mais que l’importance à l’echelle de la grande histoire ont rendu incontournables. Enfin, et tu as raison, de nombreuses cassettes importantes manquent à l’appel, tout simplement parce que ces dernières n’ont pas croisé mon chemin durant mes recherches. J’en avais pleinement conscience. Mais 1) j’étais limité par un certain nombre de pages imposées par l’éditeur, et 2) en fonction du succès rencontré, j’étais disposé à laisser la porte ouverte à une suite. Force est de constater que le succés a justement été au rendez-vous, et Nuclear War Now! m’a donné récemment le feu vert pour lancer un second volume, qui viendra compléter le premier d’une façon quasi exhaustive. J’ai d’ors et déjà mis la main sur les démos de Master’s Hammer, Von, Marduk, Sadistik Exekution et bien d’autres.
Et que penses-tu de la scène metal / extrême actuelle, entre le tout accessible et l’océan infini de groupes et productions qui sortent chaque mois ?
Je ne vais pas te mentir, la musique en général m’intéresse de moins en moins, et cela implique le metal bien entendu. Je ne suis pas sûr que cela soit directement connecté à l’évolution de la scène, mais plus à l’évolution de mon parcours personnel. Pour répondre à ta question malgré tout : certaines choses sont excellentes, la mediocrité demeure la norme, comme toujours. Rien de nouveau là-dedans, même si l’accès plus rapide, plus facile au contenu amplifie largement cette sensation. Je serais sans doute tenté de t’expliquer que dans le temps, la concentration de bons groupes était plus importante, mais au final je pense que j’étais simplement meilleur public, et que de ces sorties, peu sont réellement parvenues à passer le test du passage à l’âge adulte, et de l’exigence qui l’accompagne.
Pour toi, est-ce que tout ceci n’est que de la musique ? ou bien y vois-tu quelque chose d’autre ?
Si tu parles du Black Metal, ta question est un peu étrange, tant mon livre, de son titre à sa dernière ligne, est limpide à ce sujet. LA chose qui marquait une rupture très claire avec le reste de la scène extrême à cette époque était précisément son engagement idéologique. Certes foutraque, certes pétri de contradictions et parfois de parfaites idioties, mais néanmoins profondément engagé, au point qu’il était impossible de prendre au sérieux un groupe qui n’avait pas prêté de façon claire et radicale, allégeance à la « cause », et s’il l’avait prouvé dans les faits, et dans la violence, c’était encore mieux. On est aujourd’hui en droit, bien évidement, de douter de la crédibilité de bon nombre d’entre eux, mais quiconque affirmera que l’essence du BM n’était que musicale n’est autre qu’un idiot, un ignorant, un hypocrite ou un menteur.
Je te laisse le mot de la fin, si tu as quelque chose à ajouter ou un message que tu souhaites faire passer, c’est le moment ou jamais !
Je suis à la recherche de contributeurs pour le second volume, ayant en leur possession des collections de démos exceptionnelles. Si c’est le cas, contactez moi ici : mortasonge [a] hotmail.com
Merci pour ton interview.
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