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« Te souviens-tu de notre vénérable famille, opulente et impériale ? »

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À la fin, lui seul réussit à s’échapper de cette dimension de cauchemar, hurlant de rire et de terreur à la fois.

Bienvenue dans Darkest Dungeon, chef-d’oeuvre interdit des développeurs du Studio Red Hook ! Préparez vous à entrer dans un jeu vidéo tout en fantaisie bucolique, à mi-chemin entre fiction lovecraftienne et flagellation volontaire ! (car oui, cet excellent rpg rogue-like vous donnera non seulement envie de vous taper la tête contre les murs, mais de répéter l’opération plusieurs dizaines d’heures de jeu durant ! Mais on y reviendra plus tard. Le joueur y incarne donc l’héritier d’une riche famille de nobles, déchue par les actes ignominieux d’un ancêtre imprudent. L’histoire est mâtinée d’un doux parfum de dark fantasy qu’on croirait sorti de L’horreur de Dunwich, de H.P. Lovecraft. Elle démarre donc à la réception d’une lettre écrite d’une main tremblante : le cupide mais néanmoins repentant aïeul nous fait sa confession. Mû par des motivations quelque peu discutables, il a suivi des informations qui lui décrivaient l’existence d’un sombre pouvoir en dessous de son château. De sort sanglant à rituel noir, il a creusé, creusé, ne comptant pas les dépenses pour financer ses recherches et embaucher des ouvriers. Jusqu’à la découverte d’un portail interdit…
Derrière ces portes, c’est un monde au confins de la folie qu’ils découvrirent, parcouru par des Horreurs sans Nom qui déversèrent un mal insidieux sur ses terres. À la fin, lui seul réussit à s’échapper de cette dimension de cauchemar, hurlant de rire et de terreur à la fois. « Je t’en supplie » – nous dit-il, « Reviens réclamer les droits de ton nom sur ces terres, et chasse le mal qui les pervertit ! » Et c’est ainsi que le riche héritier que nous incarnons prendra la route, par l’ancienne voie traversant les landes corrompues. Accompagné de deux héros chargés de nous frayer un chemin par la forêt (ou de nous faire passer le tutoriel, c’est selon), on arrive dans un petit village à l’agonie judicieusement nommé le Hameau. Et la tâche peut alors commencer. Le jeu nous prévient : « Darkest Dungeon vous propose de tirer le meilleur parti de situations désespérées. Des quêtes échoueront. Des héros mourront. Et il n’y aura pas de marche arrière. » En d’autres termes, préparons-nous à en baver. Les héros que nous enverrons à la gloire/au casse-pipe se pressent bientôt pour se faire embaucher, arrivant par la Diligence : ils sombreront peu à peu dans la folie, tiraillés par des maladies impropres et des manies psychotiques développées à nettoyer les donjons, futaies, marais, caves et autres localités infectées… Notre but est de constituer une équipe assez solide (point trop malade, ni folle) et de rassembler assez d’argent et de legs familiaux pour pouvoir partir affronter la véritable menace, cachée dans le plus Sombre des Donjons.

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Sur la voie du plus sombre des Donjons… 

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L’équipement 

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Les régions à purifier 

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Le Hameau 

Et la tâche va s’avérer ardue. Et la qualifier d’ardue est un euphémisme.

A notre arrivée au Hameau, on dispose de plusieurs bâtiments débloqués au fur et à mesures des quêtes accomplies. La Guilde, le Survivaliste et la Forge se proposent d’améliorer les armes, armures et capacités de vos héros en échange de leur comptant de piécettes sonnantes et trébuchantes. La Roulotte de la bohémienne vous vendra des artefacts dont vos héros pourront s’équiper, hors ceux récupérés lors des missions. Le Sanatorium, l’Eglise et la Taverne se proposeront pour le premier de soigner des maladies et autres tares psychiatriques (toujours moyennant finances), et pour les autres de détendre vos personnages de retour de mission. Mais on y reviendra plus tard.

Puisque vous perdrez de nombreux héros durant vos heures de jeu, et que celui-ci ne vous donnera aucun moyen de les ramener, vous pourrez ressasser votre culpabilité ainsi que le manque à gagner financier causé par un choix malencontreux en allant voir la liste de vos Héros morts au Cimetière. (trop aimable.) Enfin, la Diligence vous ramènera régulièrement de la chair à canon, vierge de toute perversion putride, ne s’attendant absolument pas aux Horreurs qu’elle devra affronter.

Car vous devrez nettoyer entièrement quatre zones de jeu avant de vous attaquer au fameux Donjon terrifiant : La Futaie, Les Ruines, Les Tanières et La Crique. Chaque région vous proposera le même genre de quêtes, de durées et de niveaux différents. Mais chacune d’entre elles présente sa propre faune monstrueuse, toute en tentacules et en os cliquetants, ainsi que ses mini-boss aléatoires qui sont un challenge à eux seuls. Mais on y reviendra aussi. Les niveaux de difficulté augmenteront progressivement avec les quêtes accomplies, ainsi que la force de frappe des monstres que vous y rencontrerez.

Ces quêtes, donc, demandent de constituer des équipes de quatre héros qui avanceront de couloirs en salles, tout en déjouant les pièges, récupérant les trésors disséminés sur leur chemin (qui peuvent eux aussi être piégés) et réduisant à néant les créatures qui leur barreront la route. Le gameplay y a des relents de jeu de plateau (les héros avancent de case en case, les combats sont au tour par tour) qui ne sont pas sans rappeler les dungeon crawler/keeper, ainsi que le classique mais indémodable Dungeon & Dragons. Mais passons. Il faudra avant toute chose penser à s’équiper, pour parer aux différentes embûches que vous rencontrerez. Le stuff nécessaire comprendra des parts de nourriture (qui empêcheront vos héros de prendre des dégâts hors combat à cause de la faim, et pourront jouer le rôle de potion de vie), d’antidote au poison, de bandages pour soigner les saignements, d’herbes médicinales pour contrer les malus récoltés en combat par exemple, d’eau bénite pour s’octroyer un petit bonus d’attaque bienvenu dans certaines situations, de pelles pour dégager les décombres qui parfois rendent le passage impossible, et enfin de torches. En effet, la seule source de lumière dont vous pourrez profiter est constituée par le nombre que vous pourrez emporter, et qui se révéleront vitales pour alimenter une visibilité correcte, éviter les pièges et réduire les chances de subir des embuscades. D’un autre côté, évoluer dans la pénombre augmentera la probabilité d’asséner des attaques critiques et de tomber sur des trésors de plus grande valeur, mais c’est au joueur de faire son choix. À noter aussi que des combinaisons entre vos items et les coffres, piles de livres, vierges de fer et autres râteliers à couteaux sont possibles, et font accéder parfois à des items ou des bonus cachés : par exemple, combiner un bandage avec les charmants râteliers à lames de la Futaie permet de se protéger lors de la fouille, et donc de découvrir un rab’ de nourriture tout à fait appréciable.

Après l’équipement, il vous faudra constituer une équipe de héros en fonction de leurs classes et capacités pour avoir de meilleures chances de ressortir vivant de ce foutoir démoniaque. Chaque classe a ses propres spécialités, et une place à attribuer dans la file indienne allant de 1 à 4, ce qui influera sur ses sorts utilisables ou non en combat. On a d’abord des catégories de tank classiques, comme les Croisés, les Lépreux, les Furies ou les Hommes d’Armes, qui allieront attaques au corps à corps, soins mineurs ainsi que divers bonus/malus. Ils seront parfaits pour la première ligne, mais totalement inutiles en quatrième place. Ensuite, on pourra choisir des supports tels que l’Antiquaire axée surtout sur le poison et l’autoprotection, l’Occultiste, qui proposera des sorts de dégâts à distance sur plusieurs ennemis ou de soutien à l’équipe (à double tranchant cependant, sa capacité de soin pourra faire saigner son destinataire) ; ou encore le Médecin de peste : celui-ci permet de faire de lourds dégâts de poison, soigner des dégâts de la même origine ou de saignement sur vos alliés. À l’inverse, ces classes sont faites pour la queue de peloton et beaucoup moins utiles en première ligne. Reste par ailleurs, d’autres catégories de héros plus polyvalents, ou orientés sur la réorganisation des groupes d’ennemis : l’Abomination pourra passer du rôle de support à tank en se transformant, le Bandit peut alterner attaques de groupes, à distance, ou au corps à corps, et le Chasseur de Primes peut changer la place d’un ennemi tout en infligeant des dégâts de saignement. Le tout est de bien connaître les différents héros lors de la constitution des équipes, afin de tirer le meilleur parti de leurs capacités alliées les unes aux autres, et de leur place attribuée dans la formation.

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À l’assaut des Ruines 

Ensuite, c’est parti pour le casse-pipe… ! Vous traverserez donc une enfilade de couloirs et de salles, pourvue de pièges, trésors et autres ennemis féroces. Vous pourrez rencontrer des adversaires avec des spécificités de combat au corps à corps ou à distance, avec divers stats qu’il faudra prendre en compte dans votre approche, ainsi que ces fameux mini-boss aléatoires dont il faudra saisir le mode opératoire pour pouvoir le prévoir, et ensuite le contrer. Les combats sont donc au tour par tour, avec une distribution des tours plutôt aléatoire, qui complique parfois l’élaboration d’une stratégie d’attaque. Il faudra cependant apprendre à tirer parti des faiblesses de l’adversaire (les monstres avec une forte PROT sont plus sensibles aux attaques de saignement et de poison, etc) pour savourer la richesse du gameplay et venir à bout de vos ennemis le mieux possible. Car ce qui fait l’un des piments du jeu, c’est la gestion de l’état mental de vos héros. En effet, chacun d’entre eux possède une barre de stress, qui augmentera en fonction des événements rencontrés. Une fois cette jauge arrivée à 100/200, vos personnages pourront éventuellement devenir Vertueux et affronter la suite de la quête avec un courage chevaleresque qui vaudra des bonus supplémentaires à l’équipe (ce qui arrive une fois sur dix…). La plupart du temps, vos héros seront alors Affligés, ce qui revient pour eux à craquer méchamment sous la pression. Ces afflictions comprennent par exemple un état Injurieux, de Frayeur, ou Masochiste par exemple. Vous aurez alors la joie de pouvoir voir votre tank hurler « Je vais vous montrer comment faire, moi ! » avant de s’infliger lui-même trois points de dégâts. Ces états de folie sont passagers et s’en vont avec le repos post-mission, mais sont parfois franchement énervants : un personnage devenu Egoïste pourra refuser d’obéir à un ordre sous prétexte que sa façon de faire est la meilleure, un autre atteint de Frayeur choisira parfois de passer son tour parce qu’il est paralysé par la peur, etc. En bref, si vous trouviez le jeu trop facile, attendez un peu…

Si vous arrivez à revenir vivant (ou avec tous vos héros à peu près sains d’esprit, sait-on jamais!), le retour au Hameau sera synonyme de repos pour les aventuriers Affligés : différentes infrastructures permettent de faire baisser leur niveau de stress, tout en en les rendant indisponibles pour la quête suivante. Vous assignerez donc vos mercenaires à un séjour thérapeutique au Bordel, à la Taverne ou à la salle de Flagellation que compte l’Eglise (entre autres, au choix !), pour ensuite recruter de la bleusaille via la Diligence, monter les stats de vos personnages (armes, armures, capacités de combat et de camp), monter les niveaux de vos bâtiments tout en gardant assez d’argent pour repartir en mission de nouveau… car la seule activité gratuite sera celle du recrutement !

C’est là que la réussite de vos missions est cruciale. Les ressources que vous ramènerez de vos explorations vous fourniront des legs familiaux (utiles pour améliorer les bâtiments du Hameau) et de l’argent ou des babioles de valeur. Celles-ci vous serviront pour tout, et si par exemple vous cumulez un abandon et une défaite, le manque à gagner sera parfois tel qu’il sera très difficile de retrouver un équilibre suffisant pour repartir en mission sans se priver de stuff indispensable. Darkest Dungeon vous demandera donc un sens de la gestion, un œil omniscient sur la situation de vos héros et du Hameau, de la stratégie tout en vous laissant une marge de créativité dans le gameplay tout à fait appréciable, dont je n’ai fait qu’effleurer la surface (entre autres, je vous laisse découvrir les maladies et autres manies psychiatriques qui compliquent les caractéristiques des héros malades quand ils sont en mission… ne me remerciez pas!). Tout ceci fait de la réalisation de Red Hook Studios un jeu que j’aurais envie de qualifier de presque parfait dans son genre. Car Darkest Dungeon présente quelques petits défauts, mais il faudrait vraiment pinailler pour en tenir compte.

En effet, le jeu a souvent été critiqué pour être trop injuste, voire punitif. C’est moins vrai à l’heure actuelle, car après un an d’accès anticipé sa formule a été rééquilibrée. Mais si l’on regarde la page Steam du jeu et qu’on parcourt les critiques négatives, plusieurs aspects sont pointés par les joueurs. Sont en cause les malus importants lorsqu’un personnage agonise, les cadavres qui restent sur le champ de bataille et qu’il faut détruire, ou encore le second niveau de la jauge de stress qui cause des morts par crise cardiaque par exemple. Beaucoup se disent frustrés par le côté aléatoire des hits : il peut arriver parfois que votre équipe entière ait 90% de chances d’asséner des coups critiques à ses adversaires, et pourtant se prendre des échecs successifs ou des esquives des ennemis, donnant à ces derniers la possibilité de décimer l’entièreté de vos héros quel que soit leur niveau ! (du vécu, douloureux souvenir…) Pour plus de 80 heures de jeu, on peut comprendre que la difficulté rebute. Car Darkest Dungeon est sombre, brutal, injuste, punitif et cruel. Mais ces écueils font partie du charme du monstrueux bébé de Red Hook, qui rappellera à certains ces jeux vidéo d’avant, dont la difficulté était en général plus élevée par rapport à aujourd’hui. Et les fans de dungeon crawler/keeper ou de rpg rogue-like y trouveront leur comptant de chaos, soigneusement emballé dans une direction artistique aux petits oignons.

À mes yeux, le résultat du travail des développeurs pourrait être comparable à une copulation entre H.P. Lovecraft et le jeu Amnesia. Mais Darkest Dungeon serait leur bâtard illégitime, malformé et monstrueux. Comme je l’ai dit, l’univers dépeint par Red Hook est fortement marqué par une influence gothique et dark fantasy. La bande son donne successivement envie de se pendre, d’entrer en contact avec des entités interdites et d’aller combattre tout le mal existant en ce monde. Le design des personnages présentés comme des silhouettes de papier, des créatures rencontrées (mention spéciale pour les boss et mini-boss, je suis personnellement très fan du Collecteur, à rencontrer aléatoirement dans les Ruines!) rappelle les humains dégénérés et les amas de tentacules et d’innombrables yeux que les personnages de Lovecraft disaient ne pas pouvoir décrire dans La Couleur tombée du Ciel ou le Mythe de Ctulhu, par exemple. Le travail sur les couleurs, ombres et contrastes participe beaucoup à cette ambiance de légende affreuse. Chaque écran du jeu est un tableau à lui tout seul, et le tout donne l’impression que nos actes héroïques vont être inscrits quelque part dans une Chronique que l’on oubliera au fil des siècles. La mise en scène des combats est très réussie, tout particulièrement le feed-back des hits, soit leur impact, qui fait parfois détourner les yeux de l’écran de peur de perdre l’un de ses héros à l’agonie… Enfin, le narrateur de l’histoire est pour beaucoup dans l’ambiance du jeu, et la voix grave, sépulcrale et cassée par le scotch du narrateur Wayne June lui confère une aura dramatique et mortifère absolument prenante. Dans l’ensemble, l’ambiance globale du jeu a des relents de sang, de nuit terrifiante, de mythes noirs tout droit sortis de R’lyeh, de mortalité dramatique et de morbidité ambiante qui font plonger dans un monde parfaitement bien rendu.

Darkest Dungeon est un petit bijou du genre qu’il faut avoir dans sa collection. Si l’on est amateur de Gothique, de ces univers de sombre heroic fantasy, on y trouvera une histoire brillamment écrite, une réalisation au design et à la mise en scène très réussis, à l’ambiance sonore et visuelle travaillée, et qui exige l’excellence de la part de son joueur. Les tactiques se renouvellent sans cesse tout le long du jeu, permettent une créativité dans l’élaboration de sa stratégie d’attaque tout en y opposant une difficulté particulièrement soutenue, et qui évolue rapidement avec les heures de jeu. À ceci s’ajoute une gestion d’un équilibre de farming et de loot compliquée, qui maintiennent la difficulté de manière intéressante. Enfin, l’histoire brillamment écrite renverse les images d’Epinal des héros inaliénables, trop rencontrés dans les romans, films et jeux vidéos du genre. En somme un must-have, si l’on peut dire, à conseiller à tous ceux qui aiment les challenges. Ou qui sont un peu masochistes.

Aya Gérard, aka Fabre Minuit

Mon site : https://anachroniquespendulaires.wordpress.com

Sinon :

Trailer du jeu : https://www.youtube.com/watch?v=h-mXN3akTPU

Autre trailer : https://www.youtube.com/watch?v=wjiBB3nBR-w

L’excellente BO : https://www.youtube.com/watch?v=on-xvGdFTIU&t=883s

Gameplay de Bob Lennon : https://www.youtube.com/watch?v=mUbYLpYYGMc&list=PLDCVxR16HqmwrHcol-An3lqR5cNfgieNL

Page steam du jeu : http://store.steampowered.com/app/262060/?l=french

Une réponse à “Darkest Dungeon, où H.P. Lovecraft s’immisce dans l’univers d’un RPG Rogue-like”

  1. Super article! J’ai vraiment passé un nombre incalculable (joke, merci steam) d’heures sur ce jeu !

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